Quand la croisière ne s’amuse plus…

Croisières et valeur, un nouveau paradigme en temps de pandémie

Par Dominique Jacquet

Croisière s'amuse

Le 14 février dernier, Carnival Corporation & Plc affichait un cours de bourse de $49 pour une capitalisation boursière de plus de 33 milliards de dollars. Mais, à l’évidence, l’activité de croisiériste est particulièrement mise à mal par la pandémie et le cours affiche aujourd’hui $11 pour une valeur de l’ordre de 8 milliards, soit une destruction de 25 milliards de dollars représentant environ 75% de la valeur initiale.

 

Dans le même temps, le S&P500 a chuté de 3.380 à 2.237 le 23 mars, soit une perte de 34%, pour remonter à 2.800 le 15 avril. Donc, sur la période, le S&P500 a accusé une perte de 17% « seulement »…

 

Le coefficient de risque

Si l’on en croit les calculs économétriques suggérés par la théorie financière, avec un coefficient de risque systématique (ß) de 2, Carnival aurait dû chuter de 2 fois 17%, soit 34%, et non pas 75%. Ce premier constat nous rappelle que, malheureusement, dans des circonstances exceptionnelles, les trajectoires boursières connaissent des « rendements anormaux ». Les chercheurs se demandent toujours combien de temps il faudra pour que les rendements dits anormaux disparaissent (ou non).

 

La question est pertinente pour Carnival, car le modèle d’affaires qui consiste à transporter 6.600 passagers pour près de 1.700 membres d’équipage dans le tout nouveau Costa Smeralda, qui constitue un univers assez propice à la propagation d’un virus, peut perdre toute valeur.

 

Une intéressante réaction

La réaction de l’entreprise est intéressante : objectif numéro 1, assurer la survie de la firme, ce qui passe par la liquidité à court terme. Dans le bilan de fin février, Carnival dévoile une dette nette de 11,6 milliards de dollars, pour l’essentiel à long terme. Mais, la dette à court terme est supérieure de près de 2 milliards à la trésorerie, ce qui est un vrai risque de liquidité. Alors, le 6 avril, alors que le cours de bourse est remonté de $7,5 à $11, la firme annonce 3 levées de fonds :

 

  • Une augmentation de capital de 575 millions de dollars au cours de $8 par action
  • Une émission d’obligations convertibles de 2 milliards, échéance 2023 assortie d’un coupon de 5,75%
  • Une émission de dette classique à hauteur de 4 milliards, même échéance 2023 et rémunérée par un intérêt de 11,5%.

 

Liquidité à tous prix ! C’est bien la mission première d’une direction financière qui l’emporte largement, dans ces circonstances « exceptionnelles » sur l’optimisation du coût du capital ou l’effet de levier…

 

Et pourtant, les gens réservent…

Contrairement à ce que j’ai pu lire, le maintien du rating de la firme peut se justifier au niveau investment grade, car la structure financière est raffermie. Au moins jusqu’à 2023… Après, on verra, mais le Los Angeles Times annonce que les réservations de croisières pour 2021 montrent un accroissement significatif par rapport à 2019 ! Clairement, certaines réservations sont de simples reports, les croisiéristes ayant ajouté un effort de prestations complémentaires aux billets reportés. Cependant, il semble que la motivation des clients soit assez résiliente, confirmant le rebond de l’activité après les attentats du 11 septembre, là encore un risque global lié à la sécurité des passagers. Donc, l’horizon sera peut-être à nouveau favorable en 2023.

 

Et puis, rappelez-vous, le Costa Concordia avait sombré en janvier 2012 et le cours de bourse était passé de $30 le 1er janvier à $34 le 1er juin de la même année. Donc, pas de panique, d’autant plus que l’on ne risque pas de retrouver à bord le capitaine du Costa Concordia, au moins à court terme puisqu’il est en prison jusqu’en 2030…