Le luxe et ses marges
ST Dupont quitte la Bourse de Paris
Par Dominique Jacquet
Après 150 années d’existence et 25 années de cotation, ST Dupont va quitter la Bourse de Paris à l’instigation de son actionnaire de contrôle, l’entrepreneur Dickson Poon, basé à Hong Kong et opérant dans la distribution de produits de luxe.
Il avait acquis ST Dupont, alors filiale de Gillette (synergies ?) en 1987 pour 52 millions de dollars US.
Le sommet de la prospérité de ST Dupont correspond à la montée de la bulle internet : en 2000, les ventes atteignent 80 millions d’Euros, le ROCE 20%, le cash-flow opérationnel paie deux fois les investissements industriels et la capitalisation boursière s’élève à plus de 100M€. Tout va bien !
Cependant, le résultat d’exploitation se décompose alors en deux parties : la fabrication et la vente des produits ST Dupont (briquets, stylos, maroquinerie, pour l’essentiel) atteint difficilement l’équilibre suivant les années, le résultat d’exploitation provenant intégralement de la cession de licences d’exploitation du nom.
Aujourd’hui, les ventes annuelles sont en baisse : de 59M€ en 2019 (clôture de l’exercice le 31 mars 2019) à 49M€ en 2020 et 36M€ en 2021, le premier semestre 2021-2022 affichant 15M€ de revenus. Le résultat d’exploitation est significativement négatif et les redevances couvrent à peine la moitié des pertes.
D’un cours au plus haut de 16,8€ par action constaté fin 2000, l’action est retiré du marché à la valeur d’un penny stock, à savoir 0,14€. Certes, le nominal avait été divisé de manière surprenante par 32 en 2006 après une sortie-retour du marché (2005 – 2006) et une conversion d’OCEANE très dilutive… Il reste que la chute est sévère. Dickson Poon, qui possède 80% des parts, va débourser environ 15M€ pour privatiser l’entreprise et la restructurer.
Quand on parle de maroquinerie de luxe, la marque Louis Vuitton vient immédiatement à l’esprit. Mais, qui se souvient que le président de la République Française avait offert une mallette de voyage ST Dupont à la princesse Élisabeth à l’occasion de son mariage en 1948 ?
Il ne suffit pas d’être l’heureux propriétaire d’une marque de luxe pour générer naturellement des marges considérables. Certes, suivant le propos attribué à Bernard Arnault (LVMH, deuxième fortune mondiale entre Elon et Jeff…), « le luxe est le seul domaine dans lequel il est possible de faire des marges de luxe », mais la seule mention d’un nom prestigieux ne transforme pas un produit d’excellence en EBITDA.
Il faut du talent pour asseoir durablement la valeur de Tiffany, Lancôme, Clos des Lambrays ou Ferrari. Au-delà de la seule mobilisation du capital financier, le capital humain reste, comme toujours, le facteur de différenciation.