L’innovation de trop ?
Les enjeux éthiques autour des SPACs
Par Dominique Jacquet
Bill Ackman vient d’annoncer qu’il restituait aux investisseurs les 4 milliards de dollars levés dans le cadre de son SPAC Pershing Square Tontine Holdings (PSTH) après avoir tenté, sans succès, d’identifier une « business combination », à savoir une cible d’acquisition destinée à réaliser une fusion inversée, marque de fabrique des sociétés dites « chèque en blanc ». Cet événement me conduit à deux commentaires.
Tout d’abord, sur les SAPC en général. La Ecademy a consacré un vidcast (octobre 2020 – L’année des SPAC) à cette semi-innovation financière qui consiste à rassembler des fonds sans savoir, au moment où ils sont levés, à quelle cible ils seront destinés. Ce même concept a été à nouveau mobilisé dans la description de Virgin Galactic (vidcast – juin 2021). Ce procédé qui permet à des entreprises d’être cotées en Bourse à moindre frais, avec une plus grande sécurité d’accès au marché et plus rapidement, d’où son succès éclatant, a fait l’objet de critiques, notamment relatives à la facilité avec laquelle les fondateurs-sponsors dégageaient des rentabilités considérables sur le dos des investisseurs. Faut-il voir dans ces critiques un souci de moralité croissant sur Wall Street ou les commentaires agacés d’acteurs du système financier qui voient disparaître des sources de revenus confortables ? Une caractéristique fondamentale des SPAC est que les sponsors, experts crédibles dans leurs secteurs, disposent d’un temps relativement court pour identifier la cible d’acquisition. Au-delà d’une période de deux ans, il leur est demandé de restituer les fonds. Phénomène socio-économique classique : les premiers SPAC ont fondu sur le marché et engrangé les meilleurs deals. Les « suiveurs » arrivent en fin de récolte, le butin est maigre et le soufflé retombe un peu… Il s’agit de la parfaite illustration d’un phénomène bien connu en économie de l’environnement : la disparition d’une ressource lorsqu’elle est exploitée à un rythme supérieur à sa capacité de renouvellement ! Une fois levés, les fonds sont placés dans un trust, il est interdit de les mobiliser en dehors de la potentielle « business combination » approuvée par les investisseurs et il faut être en mesure de les restituer intégralement s’ils ne sont pas utilisés. Il est, donc, nécessaire, de disposer de fonds additionnels pour payer les frais de gestion du SPAC et les coûts de mise en Bourse du véhicule d’investissement. Le génie créateur des financiers a imaginé que les sponsors achetaient des options d’achat des titres du SPAC à un prix d’exercice supérieur ou égal au prix d’émission de leurs actions ordinaires et que le produit de la vente des options (prime payée par les sponsors) couvrait les frais divers et variés. C’est très intelligent car, si l’acquisition est un succès, alors le retour sur investissement sera stratosphérique. Par contre, si le marché regarde avec suspicion la combinaison ou si les fonds ne sont pas utilisés, les options ne sont pas exercées et les sponsors perdent l’intégralité de la prime payée. Donc, contrairement à ce que certains propos suggèrent, on ne gagne pas à tout coup et on peut perdre un montant significatif.
Pour PSTH, le montant payé pour investir dans les options était de 65 millions de dollars …
Mais, PSTH aurait pu réaliser un investissement, c’est mon second commentaire.
Au printemps 2021, la filiale musicale de Vivendi, Universal Music Group (les Beatles, Lady Gaga, etc.), devait être cotée dans un avenir proche (quelques mois, si le marché le permettait). Le projet de Bill Ackman a consisté à prendre une participation de 10% environ dans UMG non pas pour en prendre le contrôle et la coter, mais pour disposer d’une part significative des capitaux avant introduction en Bourse à un prix qui permettrait d’envisager une belle plus-value. Les autorités de régulation (SEC) et les investisseurs se sont opposés au projet. Les seconds, car ils voyaient leurs fonds immobilisés pendant une période relativement aléatoire avec une sortie non moins aléatoire. Les premières, car elles constataient un changement d’objet à un véhicule d’investissement qui n’est pas prévu pour prendre une participation très minoritaire sans processus de cotation. En fait, PSTH changeait les règles du jeu fixées à l’avance en réalisant une opération qui ressemble davantage à une levée de fonds pre-IPO sur le marché secondaire (permettant à certains investisseurs de sortir) d’une société non cotée. La conclusion de l’affaire, c’est que Bill Ackman a effectivement réalisé l’investissement et pour un même montant, mais à partir de son propre hedge fund.
Le changement des règles du jeu après l’entame du match est un argument souvent évoqué pour rejeter le processus. C’est même ce qui a fait dire à Milton Friedman qu’il est immoral d’annoncer à des actionnaires que les capitaux investis sont mobilisés en faveur des parties prenantes, alors qu’on leur avait vendu la primauté des actionnaires. Vous vous rappelez ? « The business of business is business ».