Cotation et transparence

Une perte pour TikTok

Par Dominique Jacquet

 

 

Le 9 octobre, apparaissait sur Internet, source parfaitement fiable d’informations financières, la nouvelle préoccupante d’une perte de plus de 75 milliards de dollars US dans les comptes de ByteDance, fondateur et propriétaire du célèbre réseau TikTok. Le lendemain, nous étions rassurés : il ne s’agit (apparemment…) « que » de la perte de valeur constatée par ByteDance sur des obligations convertibles en actions TikTok.

 

Il faut profiter d’une information confidentielle transmise au Wall Street Journal pour en savoir un peu plus sur la performance financière de ByteDance. Selon un rapport financier destiné aux salariés (et aimablement transmis au WSJ), la firme a généré des revenus de 61,7 milliards de dollars en 2021 et 7 milliards de pertes opérationnelles. La croissance phénoménale de TikTok se poursuit pendant le premier trimestre comptable 2022 ,au rythme de 54%. TikTok n’est dépassé que par Facebook en termes de nombre d’utilisateurs réguliers.

 

Après avoir évoqué une entrée en bourse, la société décide en juillet 2022 de repousser le processus à une date non spécifiée, puis de dépenser 3 milliards de dollars en rachetant ses propres actions détenues par ses employées sur la base de $176,94 par action, valorisant l’entreprise à hauteur de 300 milliards de dollars, après avoir accordé des actions (Restricted Stock Units) à ses employés en juin sur la base de $155 par action.

 

La vie financière de ByteDance est donc un roman, mais dont on ne peut lire quelques extraits qu’au compte-goutte et sans disposer d’une information claire, complète (ou presque) et vérifiée, ce qui serait le cas si la firme était cotée en bourse.

 

En fait, elle n’a pas apparemment besoin des marchés de capitaux, car elle dispose de fonds apportés par le Private Equity.

 

ByteDance a été créé en 2012 et a reçu un soutien financier des firmes d’investissement asiatiques et américaines au premier rang desquelles KKR, Sequoia, SoftBank Vision Fund ou Primavera.

 

En avril 2017, elle encaisse un milliard de dollars de financement pour une valorisation pre-money de 10 milliards (Sequoia et CCB). SoftBank se joint à KKR et Primavera en octobre 2018 pour apporter 3 milliards de dollars sur un valorisation de 72 : multiple de 7 en 18 mois… En décembre 2020, dernier appel au marché, l’apport est de 2 milliards de la part de KKR et Sequoia sur une base de 178 milliards. Un beau retour sur investissement pour les fonds !

 

Les temps ont changé depuis la période où une mise en bourse était nécessaire pour lever près de 10 milliards de dollars. Mais, lorsque les fonds n’étaient pas requis pour assurer le financement de la croissance, d’autres motivations conduisaient les entreprises sur les marchés.

 

En 1986, Microsoft entre en bourse et lève 61 millions de dollars, Bill Gates conservant 45% du capital pour une valeur de 350 millions de dollars… Une motivation invoquée était une sorte d’obligation « commerciale » : avec l’ambition de devenir le fournisseur de la quasi-totalité des systèmes d’exploitation des PC dans le monde, la firme devait montrer qu’elle était robuste financièrement et capable de poursuivre son effort de R&D afin d’améliorer la qualité des produits. La cotation répondait donc à un objectif de transparence dans une logique opérationnelle.

 

En 2012, date de la création de ByteDance, Facebook entre en bourse avec une valorisation supérieur à 100 années de résultat… la firme est rentable et génère un résultat net de l’ordre de 25% des revenus. De plus, la trésorerie est largement positive (4 milliards nets de dette) et le cash-flow finance les investissements. Mais, les investisseurs souhaitent « voir leur TRI » et Mark doit payer ses impôts…

 

Rien de tel pour ByteDance, la société génère des pertes, va probablement faire appel à ses investisseurs si elle doit financer 3 milliards de rachat d’actions, mais toujours pas d’IPO et les relations de la Tech chinoise avec son gouvernement ne vont certainement pas accélérer le processus.

 

Le prix de ce maintien en statut privé est que l’on ne sait (presque) rien d’une firme qui vaut entre 300 et 400 milliards de dollars et dispose d’un pouvoir considérable avec environ 1,5 milliards d’utilisateurs.