Inflation et marques

Le défi de l'économie actuelle

Par Dominique Jacquet

 

 

Après 30 années d’absence, l’inflation est de retour en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. Bon nombre de managers n’ont jamais connu une hausse de prix à deux chiffres et croyaient que les taux d’intérêt (le loyer de l’argent !) ne pouvaient pas s‘éloigner de zéro. Dure réalité que de comprendre que le Besoin en Fonds de Roulement augmente nominalement sous l’effet de l’inflation et consomme une partie du profit sans constituer un investissement, que la volatilité des taux de change va être amplifiée si la théorie de la Parité des Pouvoirs d’Achat (PPP) fonctionne encore et que le coût du capital va être propulsé à la hausse par le retour à des taux d’intérêt réels positifs (ça, par contre, c’est mieux pour les futurs retraités…).

 

Mon opinion est que le défi majeur affronté par les entreprises est de transférer à leurs clients l’inflation observée sur les coûts de revient (matières, services et salaires) en augmentant les prix de ventes. Les équipementiers du secteur automobile se rappellent avec amertume la difficulté de convaincre leurs clients d’accepter de supporter au moins une partie de l’augmentation du coût de certaines matières premières sensibles observée sur le London Metal Exchange…

 

De fait, il n’existe pas un, mais plusieurs taux d’inflation : l’augmentation de votre loyer, l’évolution de votre panier alimentaire, l’ajustement de votre salaire. Comment persuader votre patron qu’une augmentation de salaire est inévitable pour couvrir la hausse du coût de vos consommations ? En lui démontrant que vous êtes unique et indispensable ! Même raisonnement pour la vente de produits et services.

 

La force d’une marque est de se rendre indispensable pour la clientèle. Je suis prêt à payer plus cher et à sacrifier une partie de mon pouvoir d’achat, car ce produit ne peut pas disparaître de mon univers.

 

Certaines entreprises ont été particulièrement efficaces dans l’augmentation des prix de ventes afin de maintenir ce qu’elles appellent leur « growth momentum ».

 

Publiant ses résultats financiers pour le premier semestre 2022, Unilever (présentation de cette firme prestigieuse dans les films pédagogiques de janvier et février 2022) annonce une croissance des ventes de 9% pour le deuxième trimestre qui est la résultante d’une augmentation des prix de 11% combinée à une baisse des volumes de 2%, sachant que la marge brute a été, en définitive, amputée de 2%. Au même moment, Nestlé annonce une croissance organique de ses ventes de… 8%, une baisse de sa marge opérationnelle de 0,5%, une augmentation tout à la fois des prix de 6,5% et des volumes de 1,7%. Évolution contrastée de ces deux groupes dont la performance commerciale suscite des commentaires. Nous avons tous appris que la sensibilité prix – volume était négative pour les biens de consommation. C’est bien confirmé par Unilever qui annonce poursuivre sa stratégie de « croissance » qui consiste à vendre moins… ? Mais plus cher… !

 

Cela me rappelle l’exemple exactement inverse du « Marlboro Friday ». En 1993, la firme constate qu’en vendant trop cher à ses clients en période de crise, elle voit sa part de marché fondre progressivement au détriment des producteurs « low cost ». Alors, le 2 avril de cette année, elle va réduire significativement ses prix de vente dans le but de reconquérir sa base de clients, ce qui adviendra. Wall Street va, dans un premier temps, faire chuter le cours de bourse de Philip Morris de 26%, pour le faire revenir au même niveau 18 mois plus tard. C’est le temps nécessaire à certains financiers professionnels pour comprendre que le portefeuille de clients d’une firme contribue davantage à sa valeur que le profit du prochain trimestre.

 

Il est clair qu’une entreprise doit rémunérer ses actionnaires dans le long terme. Mais, dans des circonstances un peu exceptionnelles (et, espérons-le pas trop durables…), il faut investir dans la relation durable avec les parties prenantes, que ce soient les clients, fournisseurs et salariés, et ceci pour le plus grand bien des actionnaires. Dans le cas des prix de ventes, alors que les consommateurs sont inquiets, entre autres, quant à l’évolution de leur pouvoir d’achat, capturer les ressources des uns et exclure les autres n’est ni un comportement éthique, ni une bonne politique commerciale et financière.