De la finance utile…
... autour d'une soutenance...
Par Dominique Jacquet
La semaine dernière, j’ai eu le plaisir de faire soutenir un de mes thésards.
Ce moment est toujours très particulier (surtout pour le thésard…), car il fixe un point d’étape crucial dans une carrière académique, mais aussi parce qu’il permet un dialogue autour d’une avancée théorique et, parfois, pratique dans un sujet d’importance.
La thèse était consacrée à l’utilisation des financements « mezzanine » dans le développement de projets d’énergie renouvelables. L’une des questions centrales était : l’utilisation de tels financements sophistiqués est-elle un élément déterminant dans la réussite du montage financier ? En observant un portefeuille représentatif de projets, le candidat concluait à l’existence d’une corrélation robuste entre mobilisation de l’outil et succès de l’opération.
Ce premier constat était particulièrement agréable à entendre. En effet, le monde financier est souvent accusé de développer des innovations financières dans le but de s’approprier des bénéfices significatifs, parfois au détriment de la valeur créée au sein des parties prenantes, clients, États ou citoyens… En l’occurrence, la finance structurée apporte un support appréciable à la gestion du changement climatique, c’est une belle conclusion.
Sur un plan théorique, le débat (convivial et constructif !) avec le jury a porté sur le passage d’une corrélation statistique à l’établissement d’une relation causale.
Cette question est critique dans la problématique financière. Nous observons les acteurs financiers, en l’occurrence des investisseurs, et leurs décisions d’investissement, et constatons que celles-ci sont cohérentes avec les hypothèses de comportement. Mais, il faut toujours être modeste dans les conclusions. Si A et B sont corrélés, cela peut signifier que A implique B, ou B implique A, ou qu’il existe C qui implique A et B, tiers facteur parfois difficile à identifier.
Or, la finance dite « moderne » est construite sur ce type d’inférence. La théorie du portefeuille constate que l’on peut significativement réduire le risque, c’est-à-dire la variabilité du rendement, en constituant un portefeuille diversifié de titres, et en déduit que l’investisseur avisé ne va pas mettre tous ses œufs dans le même panier (disparition du risque spécifique) pour optimiser le couple risque – rendement, et n’exigera une prime de risque que sur sa partie résiduelle et non diversifiable, la corrélation avec le marché, le risque systématique.
Cette avancée considérable, due à Markowitz, Sharpe et d’autres, s’appelle le MEDAF et constitue la base de calcul largement utilisée par les directions financières pour calculer le taux d’actualisation des projets d’investissements, évaluer des acquisitions et mesurer la performance des activités opérationnelles. Pourquoi a-t-on besoin d’un modèle décrivant l’exigence de rendement d’un investisseur ? Parce que l’on ne peut pas tous les interviewer, que l’envoi d’un questionnaire donnerait des résultats incomplets et biaisés, etc. De fait, on essaye de les « espionner » en analysant leur comportement pour en déduire leur « fonction d’utilité ». Pour être honnête, le résultat n’est pas brillant, car toute personne ayant calculé des « bêtas » dans sa carrière a bien noté que la variance expliquée représentait souvent un maigre 20% ou 30% de la variance totale (vous vous rappelez du R2 de vos cours de statistique ?), ce qui signifie que la motivation de l’investisseur nous est, en fait, largement inconnue…
La théorie financière offre des modèles, parfois bien utiles, mais qui ne sont que des tentatives limitées d’explications de phénomènes observées. Il nous faut, donc, être très modestes quant à la portée de notre « savoir » en dépit des propos très catégoriques tenus par quelques confrères dogmatiques qui confondent résultats économétriques et Vérité révélée…
La soutenance s’est achevée avec les félicitations du jury, les applaudissements de la salle et un déjeuner très sympathique et convivial. Bravo, Sylvère, et bienvenue dans la communauté des enseignants-chercheurs, il y a encore beaucoup de travail qui nous attend !