IA et pertinence de l’éducation aux affaires

S'adapter à l'intelligence artificielle

Par Dominique Jacquet

 

 

Il ne vous a pas échappé que ChatGPT allait profondément bouleverser de nombreux métiers, à commencer par l’éducation. Face à des élèves, étudiants et autres apprenants qui ont accès au service, la problématique du contrôle des connaissances est au premier plan des préoccupations.

 

Comment réagir ? Un excellent papier publié par Harvard Business Publishing (ChatGPT and AI Text Generators : Should Academia Adapt or Resist, 1er février 2023) suggère clairement l’adaptation et j’adhère totalement à cette prise de position.

 

Suivons la recommandation de Talleyrand : il faut savoir accepter l’inévitable afin d’en faire de l’utilisable, grand précepte de management pragmatique.

 

L’article fait référence à une autre publication, dans le Financial Times en date du 21 janvier, qui rapporte que ChatGPT peut obtenir des notes tout à fait satisfaisantes en gestion des opérations, cours pilier du programme MBA de Wharton, réalisant une performance supérieure à bon nombre d’étudiants.

 

Ce constat conduit à poser plusieurs questions :

  • Les étudiants sont-ils mal sélectionnés ?
  • Le sujet est-il mal posé ?
  • Le professeur enseigne-t-il ce qui est utile aux étudiants

 

Les étudiants sont sélectionnés sur une note au GMAT (moyenne des entrants = 730+, un bon score est 750+, 1% des candidats au GMAT obtiennent entre 760 et 800), un profil intéressant et de bons entretiens. Le système est plutôt favorable aux candidats « dans le moule » et assez conformistes, recrutés in fine par les banques d’affaires et grands cabinets de conseil à des salaires élevés, critère qui entre dans le classement de l’institution… Passons sur ce travers bien connu.

 

Le sujet d’examen doit permettre de contrôler le niveau de connaissances de l’étudiant. Par exemple, dans un cours de finance de base, l’étudiant doit compiler des données afin de calculer des cash-flows et le coût du capital permettant de les actualiser afin de  produire une VAN, un TIR, une durée de remboursement et un seuil de rentabilité. Si les résultats sont corrects : A+ ! Il est parfaitement légitime de demander à de futurs décideurs de maîtriser quelques techniques de base permettant de comprendre les enjeux de chaque fonction de l’entreprise. Mais, cela ne devrait pas être une fin en soi.

 

Dans le processus de formation, doivent apparaître à un moment :

  • L’intégration des différentes fonctions permettant d’avoir une vision globale (systémique) des problèmes posés ;
  • La capacité de (se) poser les bonnes questions.

 

Certains cours tentent de répondre à la première question, par exemple la stratégie de l’entreprise. Mais le combat n’est pas gagné, car les professeurs de stratégie enseignent… la stratégie ! Je me rappelle avoir convaincu un collègue de stratégie, dans un programme exécutif pour dirigeants, d’enseigner un cas de stratégie en ajoutant une perspective financière. Ayant récupéré (et ajusté, car il y avait des erreurs et manques…) les données financières, j’ai construit un complément de cas et les participants devaient émettre une recommandation dans le cours de stratégie et une autre dans le cours de finance.

 

Malheureusement, les recommandations divergeaient entre stratégie et finance… Une discussion approfondie avec les participants a été très riche et leur a permis de comprendre que la situation rencontrée était « normale » : le monde des affaires n’est pas constitué de solutions simples à des questions limpides. Leur rôle, en tant que dirigeants, est de naviguer au sein de cette complexité pour prendre des décisions et gérer leur conséquences. Pas de problème avec les participants, mais le collègue m’a informé qu’il arrêtait d’utiliser ce cas… Bien évidemment, cette situation le mettait en dehors de sa zone de confort.

 

Les enseignants sont satisfaits lorsque les cas comportent une solution bien cachée qu’ils peuvent dévoiler en classe après que tous les apprenants aient choisi d’autres solutions plus évidentes et trompeuses. C’est très bien pour le prestige du professeur et sa notation par les apprenants.

 

Au passage, de nombreux étudiants de MBA se satisfont parfaitement de ce mode de fonctionnement. Un examen bien technique avec des questions sans ambiguïté et des réponses prédictibles, c’est beaucoup plus rassurant pour une population qui paie fort cher et se pose des questions sur son devenir. Le professeur prépare les étudiants à l’examen et acquiert une bonne réputation auprès de son Doyen car les étudiants sont contents, ils ont appris à passer l’examen, pas à gérer une entreprise…

 

C’est ce que décrivait avec acuité Henry Mintzberg dans un livre très dérangeant : Managers, Not MBAs. Son commentaire “The MBA trains the wrong people in the wrong ways with the wrong consequences” est très violent et peut-être un peu caricatural. Cependant, il est clair qu’un dirigeant d’entreprise doit savoir poser les bonnes questions, s’entourer des personnes qui vont apporter éclairage technique et recommandations, puis prendre une décision et en gérer les conséquences.

 

Le bon sujet d’examen devrait ressembler à : « Dans la situation présentée ci-dessous, répondre aux questions suivantes : 1- Quelles sont les questions ? 2- Répondre aux questions de la question 1 ». Inutile de vous dire le degré de popularité du professeur qui propose ce sujet…

 

ChatGPT ne pose pas de questions (peut-être dans une version ultérieure…) et apporte des éléments de réponse parfois utiles et instructifs, mais qui incitent à la paresse intellectuelle. Utiliser sans discernement le processus conduit à un conformisme intellectuel dangereux et, surtout, ne prépare pas du tout à la réalité des affaires.

 

La Ecademy présente des situations dans lesquelles contexte économique de la firme et concepts financiers doivent interagir pour identifier des problèmes, les transformer en questions et proposer des solutions, sachant qu’il n’existe pas de « meilleure solution » et que chaque solution est « créée » par son décideur avec ses propres objectifs.

 

Le film consacré à McDonald’s et Starbucks montre comment les équipes dirigeantes, opérant dans des contextes économiques similaires, ont pondéré différemment leurs propres objectifs en créant des solutions différentes permettant, grâce à la qualité des équipes opérationnelles, d’atteindre le même résultat, une création de valeur considérable. A la question posée par l’un « comment contrôler les franchisés ? » répondait la question posée par l’autre : «  comment maximiser la flexibilité opérationnelle ? ».

 

C’est notre modeste contribution à ce qui nous semble être cruellement absent dans l’éducation des affaires : apprendre à (se) poser des questions.