Déjà Vu

La déroute d'une banque

Par Dominique Jacquet

 

 

Les plus mélomanes d’entre nous ont reconnu le titre et vibré à l’écoute du deuxième album des célébrissimes CSNY (Crosby, Stills, Nash & Young pour les ignorants) paru en 1970. L’année est d’importance puisqu’elle annonce la fin prochaine d’une ère économique et financière pendant laquelle le dollar était accroché à ce que Keynes appelait la relique barbare, à savoir l’étalon-or.

 

Je reviendrai en fin de blogue sur ce point historique. Venons-en à l’actualité financière, à savoir la déroute d’une institution utile pour les start-ups et qui, à première vue, ne réalisait pas des montages complexes au détriment de ses clients, la désormais fameuse Silicon Valley Bank (SVB). Le monde s’inquiète d’une potentielle propagation de la crise de liquidité à l’ensemble du système financier et on évoque (Déjà Vu) le retour des Subprime et autres crashes mémorables. Il semblerait que le mode de fonctionnement de la SVB soit en fait assez « rustique ». La banque reçoit des dépôts pour un montant significatif (de l’ordre de 200 milliards de dollars), souvent en provenance de start-ups qui viennent de lever des fonds substantiels, pour les placer en Bons du Trésor américains, ce qui n’est pas une stratégie a priori très risquée.

 

Petit détour sur le concept de risque obligataire. Un actif est réputé « sans risque » si la probabilité qu’il ne dégage pas les flux de fonds attendus est négligeable. Dans le cas d’une obligation d’État, le rating de la dette souveraine donne une indication (une opinion…) sur la probabilité de défaillance, c’est-à-dire la probabilité d’être dans l’incapacité de payer les coupons et / ou le principal. En ce qui concerne les USA, le risque est quasi-nul, donc la banque ne prenait pas de risque. Malheureusement, c’est plus compliqué, car intervient le concept de liquidité. Afin de couvrir ses charges, la SVB a placé les dépôts en obligations à long terme dont le taux de rendement était supérieur aux T-Bills à 3 mois. Ce faisant, elle a exercé une activité bien connue des banquiers, la transformation de dépôts en crédit. Prêter à l’État américain ne pose pas de problème, sauf si les taux d’intérêt augmentent dramatiquement, ce qui n’altère pas le risque obligataire, mais réduit significativement la valeur de revente de la créance (rappelez-vous, les concepts de sensibilité et de duration !). Pour récupérer le capital de l’obligation, il ne faut pas la vendre, mais attendre la maturité (remboursement ultime en fin de contrat). Cependant, les rumeurs (bien fondées) des difficultés de la SVB ont conduit rationnellement les déposants à courir à la banque (bank run) pour récupérer leurs fonds. La dernière fois, c’était Northern Rock en 2008…

 

En l’absence d’inflation et de hausse des taux, il n’y aurait (apparemment) pas eu de problème. Donc, la responsabilité doit être cherchée au niveau des banques centrales qui ont augmenté les taux pour juguler l’inflation… Au passage, bien conscients que cela arriverait un jour, les États ont massivement emprunté à taux fixe sur des durées très longues afin de réduire le coût futur de l’endettement et de faire disparaître la dette par l’impôt le plus efficace, l’inflation. L’inflation est une fiscalité sans législation disait Milton Friedman…

 

On redécouvre aujourd’hui l’inflation, mais le phénomène est bien connu et a été largement documenté. Augmentation non contrôlée de la masse monétaire, déficits budgétaires, instabilité des cours des matières premières, incertitudes diverses, notamment dans les relations internationales : tous les ingrédients sont aujourd’hui réunis pour assurer à ce processus économique une durée de vie qui risque de se prolonger. Donc, pour annihiler l’inflation, il faut refroidir l’économie en augmentant le coût de la liquidité et, ainsi, en réduisant la masse monétaire. La politique monétaire se conduit par le niveau des taux d’intérêts. Cela n’a pas toujours été le cas. Je me rappelle mes années de trésorier d’une firme qui vendait des équipements et assurait leur financement. L’accès à la liquidité était très contrôlé et nous disposions d’un portefeuille assez fourni de lignes de crédit confirmées qui coûtait environ 0,5% par an de la partie non utilisée de la ligne. Il fallait payer ce prix pour être certains de refinancer nos opérations locatives. Puis, l’encadrement du crédit à disparu, la régulation de la masse monétaire se faisant désormais par les taux. Prudents, nous avons conservé les lignes, mais renégocié les taux qui ont été divisés par 4.

 

Sur quel principe réguler l’évolution du financement de l’économie ? La monnaie est un élément du passif d’une banque centrale. D’où l’intérêt de disposer d’un actif robuste et pérenne apporté en garantie aux détenteurs du passif pour garantir la monnaie, ce qui limite d’autant sa progression. Certains États utilisaient leur stock d’or métal comme garantie. Faible croissance du volume détenu, donc discipline assurée de la croissance de la masse monétaire et sérénité des porteurs de la liquidité rassurés par la convertibilité. En décembre 1971, un an à peine après la parution de Déjà Vu, Nixon abandonne la convertibilité or et crée l’étalon dollar. Augmentation de la masse monétaire, donc mise à disposition de fonds considérables pour constituer les conglomérats inefficaces des années ’70, déréglementation dans les années ’80 et vague d’OPA hostiles avec des fonds encore plus disponibles pour financer les acquisitions, développement des dérivés et produits structurés, crise de 1987, création et explosion de la bulle internet, sauvetage de l’économie par le déficit budgétaire, Subprime, liquidité tellement abondante qu’elle conduit à un effondrement des taux d’intérêts et à une inflation sur les actifs (immobiliers et boursiers), inflation générale, hausse des taux et… SVB (et autres banques bien pourvues en titres souverains…).

 

Certains pays achètent massivement de l’or métal, bien au-delà de besoins identifiés à court terme. Est-ce pour préparer un retour à la convertibilité or honnie par de nombreux économistes ? Est-ce pour préparer la fin de l’étalon dollar comme marqueur de leur propre puissance économique ?