Vive le client !

Compréhension macroéconomique liée à une corrélation mono-factorielle…

Par Dominique Jacquet

 

(illustration créée grâce à l’intelligence artificielle via la suite Adobe)

 

Le vidcast de ce mois est consacré à une entreprise de distribution qui peine à conserver sa marge sur son territoire d’origine. Numéro 2 en France avec un chiffre d’affaires de 42 milliards d’Euros en 2022, Carrefour est devancé par Leclerc qui génère des revenus de 58 milliards.

 

Lorsqu’une entreprise souhaite augmenter ses ventes et gagner des parts de marché, elle peut soit « gagner » des clients, soit les « acheter ». Dans le dernier cas, elle procède à des acquisitions, ce que fait Carrefour en dépensant un peu plus d’un milliard d’Euros pour acquérir les 175 points de vente de Cora et Match et ajouter plus de 5 milliards d’Euros de revenus complémentaires à son compte de résultat. En conséquence, sa part de marché (consommation des ménages) va progresser, passant de 20,1% à 22,5%, ce qui lui permet de ne pas être distancé par Leclerc, mais pas de lui ravir sa place de leader avec 23,9%.

 

Dans le même temps, Leclerc, dont les pratiques commerciales et opérationnelles n’ont pas la réputation d’être conviviales et attentistes, « profite » de l’inflation pour augmenter sa part de marché de 1,5% en 7 mois, une performance commerciale spectaculaire.

 

Leclerc est, à l’origine un « mouvement » avec des adhérents (certains pourraient dire, des franchisés…). Les slogans de l’entreprise sont « moins cher » et « maintien du pouvoir d’achat ». En période d’inflation, l’argument sonne juste et, par sa communication agressive, Leclerc « démontre » que ses produits sont effectivement « moins chers ».

 

Il est évident que vendre moins cher se fait au détriment de la marge. Or, la distribution fonctionne avec une forte rotation des capitaux et des marges faibles. Donc, toute réduction, même limitée, des prix de vente a un impact significatif sur la performance financière.

 

Quel impact pour les actionnaires ?

 

Une performance plus faible signifie une perte de valeur. C’est pourquoi, nous l’avons évoqué plusieurs fois dans la Ecademy (vidéos, blogues), certaine entreprises utilisent la puissance de leur marques pour imposer des augmentations de prix aux clients et préserver leur marges… mais au détriment des volumes. Unilever présente ses comptes 2022 en annonçant une augmentation des revenus de 8%, due à une hausse des prix de 11% générant une perte de volume 3%… Dans un premier temps, les marchés ont salué la puissance des marques, mais la publication des comptes du premier semestre 2023 a montré un visage différent. Certaines firmes, par exemple Colgate Palmolive, ont vu leur cours baisser à l’annonce d’une rentabilité soutenue au prix d’une perte de clientèle.

 

Cela nous rappelle le fameux « Marlboro Friday » de 1993. Lorsque Philip Morris a baissé les prix de la célèbre cigarette pour reconquérir ses clients, la valeur boursière a, dans un premier temps, baissé pour remonter en constatant que placer le portefeuille clients au sommet des priorités, c’était une bonne stratégie. Belle leçon de finance qui nous rappelle qu’il faut rémunérer ses actionnaires, mais qu’on ne peut le faire qu’avec des clients… 18 mois ont été nécessaires pour que les investisseurs financiers valident la stratégie de Philip Morris. Il semble que la leçon a été comprise, la réaction est plus rapide aujourd’hui.

 

Impact sur le cours de bourse de Leclerc ? La société n’est pas cotée, elle est la propriété d’individus qui prennent des décisions sur leur patrimoine personnel. Impact sur la marge ? Pas de cotation, pas de communication financière. Des propos de professionnels du secteur rapportent que les adhérents ont accepté d’abandonner leur marge pour bénéficier de volumes en croissance. Comment peut-on subsister sans faire de marge ? Apparemment, en encaissant les seuls revenus locatifs générés par la galerie marchande dont les adhérents sont propriétaires. Encore faut-il que ces revenus ne soient pas mobilisés pour payer des frais financiers et rembourser des dettes d’investissement immobilier.

 

Carrefour choisit de combattre sur le terrain de la croissance externe en annonçant des synergies (économies d’échelle) générées en 3 ans par l’intégration de Cora et Match. Ceci signifie que le retour sur investissement sera destiné aux clients, pas aux actionnaires. Le cours de bourse de la firme en souffre un peu, mais les clients vont profiter de prix moins élevés.

 

Le client remonte dans les priorités stratégiques, ce qui est une bonne nouvelle. Mais, ceci ne peut se mettre en œuvre que dans un environnement où la concurrence est possible et est intense. Favoriser la compétition entre firmes est, donc, un outil de lutte contre l’inflation plutôt efficace et plus agréable à vivre qu’une hausse des taux d’intérêts qui appauvrit les consommateurs. Encore faut-il que les décideurs connaissent la microéconomie et ne limitent pas leur compréhension macroéconomique à une corrélation mono-factorielle…