Sous-traitant maltraité ?

Les dessous de l'affaire Boeing

Par Dominique Jacquet

 

Cette pièce était, auparavant, produite dans une usine appartenant tombée dans l’escarcelle de Boeing à l’occasion de l’acquisition de Rockwell, puis qui avait été vendue à ONEX, un fonds d’investissement canadien avant de faire son retour sur les marchés en 2006 sous le nom de Spirit Aerosystems.

 

Boeing dit sous-traiter tout ce qui n’apporte pas de valeur ajoutée significative afin d’optimiser sa rentabilité financière et de maximiser le retour aux actionnaires, bien meilleure utilisation des fonds qu’un investissement industriel sans intérêt. Les rachats d’actions cumulés représentent 50 milliards de dollars dans le bilan au 3ème trimestre 2023.

 

Un sous-traitant peut investir et dégager une certaine rentabilité en générant des économies d’échelle, en délocalisant ou en sous-traitant lui-même. Dans certaines activités, il n’est pas rare que le client et consommateur final se retrouve face au sous-traitant du sous-traitant avec toute l’efficacité que l’on devine.

 

Dans le cas de Spirit Aerosystems, la situation est un peu plus complexe, car la firme dégage une perte d’exploitation de 0,5 milliards USD et un résultat net négatif de 1 milliard, pour des revenus de l’ordre de 5 milliards. La relation avec le client est, donc, très fructueuse, mais pour le client.

 

Le phénomène de sous-traitance à marche forcée, bien inspirée par le sacro-saint ROCE et le concept de fabless, a été largement documenté. En fait, en calculant le ROCE, on divise le résultat d’exploitation par l’investissement d’exploitation. La logique est de faire sortir le dénominateur en maintenant, au mieux, le niveau du numérateur. Cette logique économique sous-estime en général profondément le concept de coût de transaction développé par Williamson, dont le nom plus approprié est coût de coordination. La relation client-fournisseurs est consommatrice de temps et d’énergie, et souffre des surcoûts générés par l’absence de confiance mutuelle et l’asymétrie d’informations qui lui est liée. Lorsque le pouvoir est du côté du client (souvent le cas), le plus simple est d’imposer au fournisseur les réductions de coûts qui permettent de faire progresser le ROCE et de distribuer l’économie d’investissement aux actionnaires. Malheureusement, cela s’accompagne souvent d’une moindre attention accordée à la sécurité des opérations, à la qualité des produits et au comportement éthique du fournisseur.

 

Pour faire simple, les pertes de Spirit AS ont été transférées aux actionnaires de Boeing et la perte de qualité à ses clients.

 

Comment les marchés financiers ont-ils sanctionnés ce comportement douteux ?

 

Au moment du premier accident de 737 en 2018, le cours de Boeing passe de $370 à $320 pour remonter à $380 en mars 2019, date du deuxième accident, et, alors descendre à $340… Ce qui a vraiment fait chuter le cours, c’est la Covid ! En deux mois, Boeing va perdre plus de la moitié de sa valeur et va atteindre des plus faibles voisins de $100 par action. Remontée progressive à $250 début janvier 2024 et descente à $220. On pourrait imaginer que seule la Covid a raison de la rentabilité des actionnaires. Ce serait oublier que le concurrent de Boeing est valorisé aujourd’hui 15% plus haut que son cours pré-Covid. Pour Boeing, cela signifierait un cours supérieur à $400, soit une capitalisation boursière supplémentaire de 110 milliards de dollars, à comparer avec 50 milliards de dollars de rachats d’actions et 346 victimes. Création de valeur ?