Pérennité financière

Un univers de plus en plus fragilisé par l'Intelligence Artificielle

Par Dominique Jacquet

 

La capitalisation boursière de Renault (14,6 milliards Euros) vient de dépasser celle de son partenaire industriel japonais, Nissan (2.360 milliards JPY, soit 14,4 milliards Euros).

 

Le retour en grâce de Renault auprès des investisseurs mérite, en soi, une longue analyse, mais ce qu’il est intéressant de rappeler, c’est que la valeur boursière de la société a longtemps été réduite à la valeur de sa participation dans Nissan. Louis Schweitzer, alors P-DG de Renault, avait engagé la société dans le redressement de Nissan (dont aucun autre constructeur automobile ne voulait…) en prenant à l’origine (1999) 36% de la firme, participation portée plus tard à 43%, et en injectant 5 milliards d’Euros. L’équipe chargée de la transformation de Nissan était pilotée par Carlos Ghosn et le redressement fût spectaculaire. Mais, un calcul montrait, il y a peu d’années, que la capitalisation boursière de Renault était inférieure à la somme de deux valeurs, sa participation dans Nissan, d’une part, la valeur de son activité de financement, d’autre part. La valeur boursière de l’outil industriel était donc négative, ce qui est assez frustrant et suscite des interrogations. Et puis a eu lieu un retournement rapide et spectaculaire, ce qui est assez exceptionnel pour une industrie qui, a priori, est rythmée par des cycles longs et suscite une réflexion sur la stabilité des situations d’entreprises.

 

J’introduis souvent dans mon cours de stratégie financière l’exemple de Walmart et K-Mart. En 1986, K-Mart génère un chiffre d’affaires de 24 milliards de dollars, exactement double de celui de Walmart. En 1990, les deux groupes sont à égalité avec 26 milliards de dollars. Donc, en 4 ans, K-Mart a progressé de 8% et Walmart a plus que doublé. Vous connaissez la suite. Les revenus de Walmart s’élèvent à 648 milliards de dollars en 2023 et K-Mart a disparu financièrement en 2006 (après acquisitions et restructurations) et complètement dans la mémoire de mes jeunes (et même moins jeunes…) étudiants.

 

L’histoire des entreprises est peuplée de ce type d’émergence-disparition. L’indicateur Dow Jones Industrial Average, créé en 1896 (plus vieil indice boursier mondial), a perdu son dernier représentant initial, General Electric, en 2018. GE était une institution qui paraissait plus « éternelle » que beaucoup de firmes, notamment l’une des autres firmes de l’indice initial qui produisait des courroies en cuir pour machines agricoles, et pourtant.

 

Aujourd’hui, on peut imaginer que l’IA va être un outil d’accélération de destruction-créatrice, mais on constate que les grands firmes appliquent à elles-mêmes le souhait d’éternité de certains de leurs fondateurs en ingérant tout ce qui peut constituer une menace existentielle. Leur puissance financière est telle que toute firme peut être acquise sans peine. D’ailleurs il suffit de payer en titres afin d’économiser la trésorerie et les lignes de crédit. D’où la stratégie très au point mise en œuvre par certaines start-ups qui ne sont ni dans le B2C, ni dans le B2B, mais dans le B2BB, qui signifie « Born-To-Be-Bought » (expression empruntée à Bernard Maitre, Les business models de la nouvelle économie, 2000) : l’objectif n’est pas de développer l’entreprise, mais bien d’attirer l’attention des poches profondes en constituant soit une gêne, soit une opportunité, afin de se faire acheter à bon prix.

 

Mais, si l’on souhaite poursuivre son développement sans être intégré par un GAFAM ou équivalent, est-ce possible ? La réponse est positive, si une législation protège la concurrence et si une autorité de régulation a le pouvoir de refuser certaines opérations, comme l’a été l’acquisition de ARM par NVIDIA.

 

Pareto avait théorisé la stabilité des élites en invoquant une combinaison de ruse et de force, mais il avait aussi observé le phénomène de « circulation » des élites en considérant dans son Traité de Sociologie Générale (1917) que « l’histoire est un cimetière d’aristocraties ».

 

Espérons que l’IA ne constitue pas un moyen de concentration du pouvoir, mais, grâce à une régulation « intelligente » et un niveau optimal de concurrence, permette une répartition du pouvoir et de la création de richesse.