Rien de nouveau…
Autour du départ de Carlos Tavares de Stellantis
Par Dominique Jacquet
Après 10 années (2014-2024) à la tête du groupe PSA (Peugeot-Citroën) puis de Stellantis, Carlos Tavares vient d’être débarqué en urgence par le conseil d’administration.
L’issue ne faisait pas de doute, car ce même conseil avait annoncé chercher un successeur pour le remplacer en fin de contrat. Mais, celle-ci était prévue en janvier 2026. Pourquoi une telle accélération ?
Si l’on met de côté les débats (pertinents) sur sa rémunération (approuvée par les actionnaires à hauteur de 70%), l’apport de Tavares a résidé dans une chasse efficace aux coûts de revient, élément déterminant du redressement financier de PSA. La marge opérationnelle de PSA était négative en 2013, égale à +2% en 2014 pour atteindre 8,5% et 5 milliards d’Euros en 2019. En 5 ans, le cours de PSA va passer de 10€ à 23€. Opel et Vauxhall sont intégrés avec succès en 2017, en dépit d’un scepticisme affiché par les « experts ».
La fusion avec Fiat-Chrysler Automobiles en 2021 permet de créer un leader dont la marge opérationnelle va dépasser 12%, mais les difficultés nord-américaines du groupe vont réduire cette dernière et 2024 devrait se situer entre 5,5% et 7%. Sachant que l’Amérique du Nord est une région difficile pour le secteur au grand complet, rien de très dramatique.
C’est, donc, le désaccord avec le conseil d’administration qui a suscité le départ accéléré.
Le conflit était, semble-t-il, dû aux méthodes de management du dirigeant qui se traduisait par un impressionnant turnover dans l’équipe de direction. Une fois que les coûts de revient ont baissé, que peut-on faire ? Demander des efforts supplémentaires et pratiquement impossibles à atteindre pour poursuivre le processus ?
Si la compétitivité par les coûts est un point de passage obligé afin de contrer les offensives diverses auxquelles l’industrie automobile doit faire face, il est un moment où la baisse des coûts n’est plus efficace, elle devient destructrice de valeur.
La raison principale est simplement économique. Dans un compte de résultat, on comptabilise des coûts de revient qui sont, en fait, des investissements. Le poste le plus connu est la recherche et développement. Il est clair que réduire la R&D pour augmenter l’EBIT ne mène pas très loin. Mais, il existe d’autres coûts qui relèvent, eux aussi, de l’investissement. Par exemple, la formation. Celle-ci peut être directement consacrée aux aspects techniques, mais peut aussi permettre de constituer des équipes de managers qui apprennent à travailler ensemble, constituent les décideurs de demain et permettent d’optimiser la performance pérenne de l’entreprise. Les achats constituent aussi un poste comprenant sa part d’investissement. L’étranglement programmé des fournisseurs conduit ces derniers à ne pas prendre de risque au bénéfice du client et à ne pas coopérer dans la recherche d’innovations communes.
Si la compétitivité par les coûts est une contrainte, la réduction des coûts n’est pas une stratégie.
Co-innover avec ses fournisseurs, accepter la remontée des difficultés au sommet de la pyramide, tolérer que la mise en œuvre de décisions opérationnelles peut s’avérer plus difficile que prévu, etc. c’est construire une relation avec les parties prenantes dans une optique de création de valeur mutuelle et non pas un jeu à somme nulle.
Le premier vidcast de la Ecademy était consacrée à KraftHeinz.
La pression sur le management et les fournisseurs exercée par Berkshire Hathaway (Warren Buffett) et 3G Capital (Jorge Lemann) a conduit à une destruction de valeur peu commune. KHC est issu de la fusion entre Kraft Foods et Heinz en 2015. Le cours de bourse est passé de $80 (IPO) en août 2015 à près de $98 en février 2017 pour s’établir aux environs de $30-$32 depuis 2019.
Environ 100 milliards de dollars US se sont évaporés entre le plus haut et la situation actuelle avec une firme qui peine à remonter le pente.
Le processus est connu, il a été commenté et documenté, mais il semble qu’un certain nombre de dirigeants confondent toujours profits à court terme et performance financière durable sans apprendre de l’observation des trajectoires d’entreprises.