Confiance et crypto
Est-ce un bon service à leur rendre ?
Par Dominique Jacquet
Dans un article lumineux publié en 1970, George Ackerlof montre qu’un marché disparaît si le vendeur en sait beaucoup plus que l’acheteur sur la qualité réelle (et non annoncée) du bien vendu et peut, donc, le tromper sur la valeur réelle de l’objet vendu. Il applique sa théorie au véhicule d’occasion (voiture en état douteux se traduit par « lemons », d’où le titre de l’article – The Market for « Lemons ») et transforme l’industrie automobile qui va offrir des garanties constructeurs aux véhicules d’occasion pour doper les ventes de véhicules neufs ! Le Nobel d’économie récompensera en 2001 cette contribution considérable au concept d’asymétrie d’information.
Pour qu’il y ait transaction, il faut que chacune des parties soit confiante quant à la qualité, donc la valeur, de l’objet échangé. C’est vrai pour les biens comme pour les services. Lorsque le service consiste à vendre des stablecoins, donc des jetons dont la valeur doit suivre rigoureusement le cours d’une monnaie fiduciaire dans laquelle il doit être convertible en permanence, on imagine bien le capital de confiance sous-jacent.
La débâcle de 2022, qui a vu des crypto s’effondrer (le bitcoin voit sa valeur chuter de 50k€ à 15k€) et des firmes disparaître (FTX), a jeté un doute significatif sur le potentiel d’un marché dont le capital de confiance avait fortement chuté…
Alors, certains opérateurs ont compris l’enjeu de réduire l’asymétrie d’informations avec les parties prenantes, notamment les clients et les instances de contrôle et de régulation, et ont joué le jeu de la transparence. Circle, dont nous décrivons la mise en bourse dans le vidcast de ce mois, a montré clairement que chaque jeton représentant un dollar US avait sa contrepartie en monnaie fiduciaire dont la valeur et la liquidité étaient garanties (investissement en actifs « sans risque » et liquide tels que les obligations du Trésor américain. Certes, des incidents de parcours ont jalonné le processus, tel que la défaillance de Silicon Valley Bank dont personne n’avait imaginé qu’une institution qui détenait des T-Bonds pouvait présenter un risque. Le professionnalisme de la réaction de Circle a, en définitive, conforté sa réputation et la firme est aujourd’hui l’opérateur préféré d’institutionnels détenteurs de jetons USDC et à la recherche de partenaires commerciaux fiables.
Dans le même temps, la SEC a intenté un certain nombre de procès à des opérateurs dont les agissements contrevenaient aux lois et règles de fonctionnement du marché tout en travaillant avec les autorités et le législateur afin de construire un ensemble juridique cohérent et efficace.
Mais, en 2025, la SEC a renoncé aux actions contre Coinbase, Binance, Consensys, Kraken, RobinHood et autres comme, suivant ses propos, un moyen d’accélérer la mise en œuvre d’une régulation pertinente via sa nouvelle « Crypto Task Force ».
A priori, ces décisions sont relativement fondées, car l’arsenal réglementaire relatif aux cryptomonnaies manquait apparemment de précision et de cohérence.
Cependant, il n’a pas échappé au lecteur que le concept de régulation a perdu de son attractivité depuis quelques mois aux Etats-Unis et que la tendance est de libérer les forces du marché pour lui permettre d’atteindre son propre équilibre réputé efficace. Le nouveau patron de la SEC, Paul Atkins, a été nommé par Donald Trump, et on s’attend à un allègement des contraintes réglementaires pesant sur les acteurs des cryptomonnaies.
Est-ce un bon service à leur rendre ?
Clairement, ce mouvement va leur permettre de développer l’offre de services dans le but d’attirer des clients et de booster revenus et EBITDA. Pour les parties prenantes (clients, investisseurs, la société en général), l’impact est plus incertain. On se rappelle des effets négatifs générés par la déréglementation considérable des années 80s. Augmentation non contrôlée de la prise de risque, accélération et amplification des crises et pertes de valeur considérables.
L’allègement prévisible des contraintes pesant sur le monde crypto va certainement créer de la valeur pour certains. Mais, si la conséquence de la dérégulation est une perte de confiance dans le système tout entier, le marché peut disparaître ou, pire, expulser les opérateurs plus soucieux du client suivant le principe bien connu : la mauvaise monnaie chasse la bonne…
Si une régulation excessive contraint innovation et initiatives, l’absence de régulation crée une sorte de jungle dont l’optimalité n’est pas démontrée. Comme d’habitude, tout est affaire de « juste milieu », mais l’époque n’est ni à la nuance, ni à l’équilibre.